Un vrai billard. Et en plus, ça descendait. Toni mit le
cap vers la place et la poignée dans le coin. Au doigt mouillé, il estima qu’il
frôlait le 30 à l’heure.
Attention ! lui disait une petite voix
intérieure ; tu vis dangereusement : zone 30, PV en attente...
Mais confiant dans la vétusté du 49,9 allergique à la
perfe, même par vent arrière et encore davantage aux additifs « spécial compète », il se laissa
aller à la griserie de la vitesse et à la satisfaction de pouvoir enfin profiter
à nouveau de l’invention de John Loudon Mac Adam, au lieu de guidonner comme
c’était le cas depuis des semaines, sur une piste façon fakir hindou, hérissée
de pierraille poudreuse et parcourue par des bolides.
Pas longtemps, cependant, car si la pente est raide et la
note possiblement plus salée qu’une autoroute en plein hiver, la piste d’envol
est plutôt brève ...
Pour comble de malchance, un quidam traversait
inopinément, s’aventurant sur un zébra tout neuf afin d’en évaluer la
pertinence. Toni immobilisa sa monture de justesse. Un voisin effrayé par le
crissement des pneus sur l’asphalte souleva le coin d’un rideau ...
« Fougueux vélo motocycliste pétaradant »,
l’interpella le piéton, « pourquoi cette frénésie à vouloir
escrabouiller le flâneur pacifique déambulant sur l’Avenue
de la Démocratie ? »
Le moteur cala sur cette interpellation, probablement
aussi surpris que son propriétaire par la rencontre du professeur Nanar et par
ses propos décalés.
« Ami
tonitruant », répartit enfin le danger public motorisé, « je ne sache pas qu’on ait à ce jour débaptisé
ce coupe-gorge royal ? »
« Si ce n’est officiel », dit
Nanar, « il serait tout à fait logique qu’on en envisageât dans un jour
prochain l’éventualité ... »
« Oui, mais »
dit Toni, « « avenue », je
trouve ça un peu exagéré... Quant à « démocratie », là ... »
- Attends, cher ami trop pressé : dis-moi
combien tu en vois des chênes, des tilleuls, des acacias, des lilas et des
roses dans les rues qui en portent le nom ?
Je ne parle même pas de la « Rue de la
Paix ». Encore moins évoquerai-je la « Deutsche Democratische
Republik » !
Toni resta un moment interdit puis, il eut comme une
fulgurance :
- Professeur Nanar,
dit-il, ma mob, je vais l’appeler
« Blitzschnell1 ! ».
Il avait tout compris.
Une petite fille qui avait tout vu, l’a raconté et on la peut
croire sur parole : Toni est reparti en s’esclaffant.
Et en pédalant car Blitzschnell
n’a jamais voulu redémarrer...
Et TOC !
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1 – NDLR : Toni aurait pu l’appeler « Quick as
lightning », mais cela lui a semblé plus difficile à prononcer.