- Pas bavard, Monsieur le professeur, ce soir ! dit Toni.
La mine sombre, Nanar ne semblait pas bien disposé à
tenir une conversation.
- Laisse tomber, Toni ! C’est juste un
problème avec ma 4 L.
- Encore la
suspension hydraulique ? Le pont arrière ? La clim’ ?
Les blagues de Toni n’avaient pas aujourd’hui le pouvoir
de faire sourire son ami qui consentit cependant à justifier son humeur
morose :
- Devait être prête la semaine dernière...
Remis à plus tard... Congé du personnel à ce qu’on m’a dit. Ça tombe mal.
- Je peux vous
prêter ma mob si des fois ...
Averti par le regard peu amène du professeur Nanar, Toni
n’insista pas. Il préféra se réfugier dans la banalité de circonstance.
- Ben oui, Prof, je
vous comprends, mais c’est tout le temps comme ça ; les délais sont jamais
tenus.
Tenez, vous qui
connaissez bien votre Histoire de France, je n’ai pas besoin de vous rappeler
le canal de Suez ...
- Le Canal ? Oui, bien sûr :
commencé en 1859, ouvert à la navigation en 1869. C’est long !
- Et Panama, hein,
Panama ! Un projet de 1880 terminé laborieusement en 1914. Et encore, sans
la dynamite, serait peut-être même pas fini aujourd’hui ! La réparation de
votre 4 pattes, elle va quand même pas prendre aussi longtemps. Enfin, je
l’espère pour vous !
Le professeur Nanar ne put retenir un petit sourire dont
l’érudition de Toni en ce qui concerne « l’Histoire de France » était
en partie la cause, mais surtout parce qu’il venait trouver motif à contredire
son ami facétieux :
- Non, mon cher Toni, ce n’est pas une
fatalité : les délais peuvent être tenus. Et même au-delà. Et je peux te
le prouver. La preuve est devant toi. Ouvre les yeux !
Toni avait beau ouvrir des yeux comme des soucoupes ...
- Oculos habet et
non videt1, comme
on disait dans le camp romain de Pontarcher.
- Si tu te tenais au courant, tu saurais que
les travaux prévus dans la grand’ rue étaient censés se terminer vers le 30
juin. Or ils sont quasiment terminés au jour que nous sommes. Un exploit ?
- Je ne vois
toujours pas ! dit Toni.
- Non, ce n’est pas un exploit, c’est une ... surestimation.
Du coup, la brocante prévue le 24 par l’ARLLE ne pouvait pas avoir lieu. Celle-ci
annulée, plus besoin de travaux ! CQFD.
Toni réfléchit un moment. Une lueur passa dans son regard.
- Ben oui, mais la
rue était ouverte du vendredi soir au lundi matin, ça change quoi pour la
brocante ?
- Mon petit Toni, tu as été brillant jusqu’à
présent, mais là, tu gâches tes cartes : je te sais imbattable question ciment
et fil à plomb ; côté « Histoire de France », tu es une
pointure. Mais laisse-moi te dire que pour l’histoire de la commune, tu as
encore des progrès à faire.
- Allez, bonsoir chez toi. Mes amitiés à
Maria !
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1 – Il a des yeux et ne voit pas.