Moi, j’aime bien aller chez ma
mémé ! Ma mémé, elle me raconte plein de trucs de quand qu’elle était
jeune. Elle me cause des gens qu’elle a connus du temps qu’elle portait le
courrier avec son vélo. Sûr qui y en a pas mal qui dorment maintenant dans la
terre ... comme son grand-père à elle, sauf qu’on sait pas bien où ?
Sûr, il est sur une plaque, avec les
autres, tous ceux du village qui ont péri comme lui... Elle dit comme ça que ça
la console pas d’avoir pas connu son grand-père et surtout d’avoir vu si
souvent sa grand-mère pleurer, mais qu’est-ce que tu veux y faire ?
Je lui dis : « Mémé,
arrête ! T’es trop obsédée par le passé ! »
« Bis repetita non placent » qu’elle me fait.
Elle croit peut-être que je comprends
pas : c’est un truc que j’ai lu dans les pages roses de son vieux dico. Ça
veut dire que je radote.
« Oooh, Mémé, fâche-toi pas !
C’est juste quand même trop une langue morte ! »
Elle a regardé en direction du plafond,
un petit moment ...
« Parlons d’autre chose »,
elle a soupiré, « on se fâcherait ! »
« Ouais », j’ai crié. « Gabin,
dans le Cave ! Super ! Je
connais ! »
Ma mémé, elle adore les vieux films du
temps passé. Gabin, elle kiffe un max. Pardon, je veux dire qu’elle est un peu
trop tournée vers le passé, comme je lui dis toujours ...
Du coup, pour éviter l’affrontement, je
lui ai causé qu’il était question qu’on allait le déménager pour le mettre mieux
en valeur son monument qu’elle a en photo dans son album du temps passé.
« Même qu’y aura des lumières pour qu’on le voie bien en entrant dans le
parking », j’ai précisé.
« Chouette, non ? »
Au lieu de me répondre «
Super », comme j’attendais, elle a encore levé les yeux vers le plafond où
qui y avait rien.
Juste le plafond.
Puis, elle est allée chercher son vieil
album avec une couverture en cuir tout usée. Elle a sorti la photo et me l’a
collée sous le nez :
« Regarde bien, cervelle ramollie, regarde
la foule ; c’était en 24. Y avait là tous les gens de ton village, ceux
qui avaient perdu un père, un fils, un ami, un voisin. C’est sur ce bout de
terre qu’ils avaient choisi de rendre hommage aux disparus.
Pour toujours.
Et pas sur un parking ... »
Alors, j’ai bien regardé et j’ai dit :
« Arrête, mémé. T’as raison. J’avais pas bien vu jusqu’à présent. »
« Regarder et voir, c’est deux
choses différentes1» a-t-elle ajouté.
Alors, en passant, tout à l’heure, je me
suis arrêté pour relire tous les noms des victimes honorées par la ferveur
populaire en 1924 et qu’on projette de déménager comme une étagère pour meubler
le vestibule...
« Adorner2
un parking ! », j’ai pensé. « C’est ça qu’on appelle être dynamique
et tourné vers l’avenir. »
Tiens, je commence à penser comme ma
mémé...
Stéph
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1 – En référence à Oscar Wilde – Le mari idéal
2 - Embellir, décorer. C’est un vieux
mot. Ma mémé, elle aime les vieux mots ...